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Pourquoi Brens et Rieucros sont-ils des camps oubliés ?

« Du premier au plus méconnu des camps de concentration français » Texte écrit par Remi Demonsant, pour l’Athanor Centre Culturel d’Albi, en guise d’introduction aux manifestations de novembre 2000

Malgré le regard plus lucide porté depuis la dernière décennie (cf. les affaires Bousquet, Touvier, Papon) sur les complicités actives du régime de Vichy avec le régime hitlérien, perdure encore aujourd’hui, dans l’opinion publique française, une certaine amnésie à l’endroit des crimes de Vichy et en particulier de ses camps de concentration. Qui, même dans le Tarn, se souvient encore des camps de Brens et de St Sulpice ? Et pourtant près de 6000 êtres humains y furent arbitrairement internés pendant la 2° guerre mondiale.
Rieucros – Brens : on peut considérer qu’il s’agit en fait du même camp qui a été transféré en février 1942 – à cause de difficultés d’alimentation en eau – de Rieucros, un lieu-dit de la commune de Mende, à Brens, près de Gaillac. Rieucros et Brens ont été, l’un après l’autre, le seul camp spécifiquement de femmes de la zone dite libre. Dans les deux lieux, de nombreux jeunes enfants (ainsi le jeune Michel del Castillo) ont été internés avec leur mère. Comme pour les autres camps français, l’internement ne faisait nullement suite à une décision judiciaire mais à une décision administrative forcément arbitraire du Préfet.
Rieucros a le triste privilège d’avoir été le premier camp de concentration ouvert en France. Sa création remonte, bien avant l’instauration du régime de Vichy, à janvier 1939, et incombe au gouvernement Daladier. Il est destiné aux étrangers qualifiés de « suspects du point de vue national », « indésirables » en France et tenus pour responsables de la crise économique qui secoue la France depuis les années 30. On interna ainsi à Rieucros des combattants républicains de la guerre d’Espagne, des étrangers engagés dans les Brigades Internationales et des allemands antinazis jusqu’en octobre 1939. A cette date, les hommes furent transférés au camp du Vernet (Ariège). Il ne restait plus à Rieucros que de jeunes femmes espagnoles qui furent rapidement rejointes par des femmes transférées de la Petite Roquette, en majorité des émigrées allemandes qui avaient été raflées à Paris, dès la déclaration de la guerre. Au cours de l’hiver, les effectifs augmentèrent. Le camp fut peuplé de vingt-cinq nationalités différentes parmi lesquelles les françaises « politiquement suspectes » furent de plus en plus nombreuses à partir de l’armistice et de l’installation du régime de Vichy.
Le 14 février 1942, 320 femmes et 26 enfants sont transférés au camp de concentration de Brens qui avait préalablement servi de centre d’hébergement pour des juifs étrangers – majoritairement polonais – réfugiés à Toulouse et qui vient d’être aménagé, c’est-à-dire clôturé de barbelés sur trois mètres de hauteur. Par-delà la perte de leur liberté et l’incertitude totale dans laquelle ils se trouvaient quant à la durée de leur internement, ces femmes et ces enfants ont énormément souffert à Brens – comme à Rieucros – de la faim et du froid. Au fur et à mesure où l’on avançait dans la guerre, la soupe devenait de plus en plus claire. Un interné juif allemand, qui avait été détenu à Dachau avant d’être interné dans un camp français, a même pu écrire : « Entre Dachau et ici [Gurs, Pyrénées-Atlantiques] les différences sont sensibles. Ici, on ne vous frappe pas; mais là-bas, on était mieux logé et nourri. » (cité par Anne Grynberg, dans « Les camps de la honte », La Découverte, Paris, 1991).
D’aucuns ont contesté, aux camps de Rieucros et de Brens, l’appellation de camp de concentration. Sans doute s’opère-t-il, dans leur esprit, une confusion entre camp de concentration et camp d’extermination. En tout état de cause, l’expression « camp de concentration » figure dans les circulaires du Ministère de l’Intérieur signées par Albert Sarraut (par exemple, celle du 11/11/39). Sous Vichy, le terme sera maintenu et confirmé. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que plus d’une centaine de femmes juives, en majorité des polonaises mais aussi des allemandes et des autrichiennes, furent déportées du camp de concentration de Brens au camp d’extermination d’Auschwitz. On voit par là que le camp de Brens, qui a été pour ces malheureuses l’antichambre de la mort, a participé au même système d’anéantissement – la Shoah – que les camps d’extermination nazis.
Malgré ce drame, le camp de Brens reste le plus oublié, le plus méconnu des camps français. Par-delà l’amnésie de la population locale qui a sans doute mauvaise conscience de n’avoir rien tenté – exception faite de rares initiatives individuelles – pour aider les internées, le camp de Brens semble oublié de tous. Oublié même des historiens, spécialistes des camps, qui ont pu réaliser, en 1990 à Toulouse, une exposition, au demeurant très intéressante, sur « Les camps d’internement du Midi de la France (1939-1944) » sans mentionner Brens. Le nom même de Brens avait été oublié par la famille d’une internée et par une internée elle-même. Sortir ce camp de l’oubli est le premier objectif que s’est fixé « l’association pour perpétuer le souvenir des internées des camps de Brens et de Rieucros » qui s’est créée autour de M Charles Couchet en 1991 et s’est développée autour de Mme Angelita Bettini, ancienne internée des camps du Récébédou (Haute-Garonne), de Rieucros, de Brens et de Gurs, à partir de la conférence-débat donnée par Mme Rolande Trempé en octobre 1998, lors du salon du livre de Gaillac. L’établissement du camp sur un terrain privé est encore un facteur qui a contribué à son oubli en interdisant jusqu’à présent la réalisation de notre objectif prioritaire : la création, à l’emplacement du camp, d’un « Lieu de Mémoire ».

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