Témoignages : l’arrivée au camp

Témoins de l’histoire.
Témoignages de femmes internées dans las camps de Brens et de Rieucros.

L’arrivée au camp

souvenirs et témoignages

Nous qui étions internées durant la guerre dans un camp français, nous essayames avec un tranquille acharnement de sonder les ténèbres qui s’avançaient irrésistiblement et dont nous ne savions comment nous préserver.

Les troupes allemandes étaient entrées en France en mai 1940 et avec elles, la Gestapo et les S.S. Entre leurs mains se trouvait notre destin. Les uniformes noirs aux deux éclairs meurtriers avaient déjà fait leur apparition dans notre camp. Ces entretiens avec la direction du camp ne pouvaient rien signifier de bon, sinon ce que nous connaissions pour l’avoir vécu, la mort, le malheur pour des milliers d’hommes, pour des peuples entiers, à mesure que l’occupation hitlérienne après l’Allemagne gagnait l’Autriche, la Tchécoslovaquie, puis de nombreux pays d’Europe. Maintenant, c’était le tour de la France. Comment pourrions nous échapper, nous qui nous trouvions dans la souricière d’un camp d’internement policier.
Beaucoup d’entre nous avaient été arrêtées dans la nuit du 1° septembre 1939 dans un Paris plongé depuis des jours dans les ténèbres lourds de pressentiments. Nous n’avions même pas su, lors de notre arrestation, que la guerre était là. Nous ne parvenions pas à comprendre pourquoi nous nous trouvions incarcérées dans cette France qui nous avait accueillies d’une façon si hospitalière, qui nous avait donné asile, alors que nous avions fui la terreur hitlérienne qui pesait sur notre pays.
Nous nous étions d’abord cramponnées à l’idée d’une erreur qui ne manquerait pas d’être bien vite éclaircie. Mais bientôt des femmes d’autres nations étaient arrêtées à leur tour. La prison de la « Petite Roquette » s’emplissait, peu à peu. L’on nous transferra alors à Rieucros (Lozère) et Brens (Tarn). D’autres femmes originaires des pays qu’Hitler avait envahis vinrent nous rejoindre. Autrichiennes, tchèques, polonaises, de même qu’anglaises ou femmes de Finlande jugées suspectes par les occupants, leurs pays étant des alliés pour la France. Enfin ce fut le tour des françaises. Plus le temps s’écoulait, plus elles arrivaient nombreuses. Alors nous comprîmes que nos requêtes pour une mise en liberté étaient illusoires. Toutes ces femmes internées étaient là, parce qu’elles refusaient l’occupation de l’hitlérisme et de ses comparses. Les françaises, elles, avaient compris que la drôle de guerre n’avait pu que permettre à Hitler de poursuivre son plan de domination, de réaliser les plans de son « Mein Kampf ». Notre sort devenait commun à celui de toutes ces victimes, notre douleur se mêlait à la grande douleur des peuples, à celle du peuple français.
La drôle de guerre s’était transformée en une invasion sanglante de la France par les armées allemandes. Nous entendions parler par nos gardiennes de la fuite de dizaines de centaines de milliers de familles sur les routes de France. Nous savions par cette même source que les avions à croix gammées tiraient sans cesse sur les fugitifs sans défense. Peu à peu l’ombre de la croix gammée s’étendait vers nous de plus en plus menaçante.

Par des femmes récemment arrivées, nous apprîmes que les S.S. et la Gestapo recherchaient en tout lieux les hommes et les femmes de leur pays.
La direction du camp assurait toujours qu’elle ne nous livrerait pas. Fallait-il croire cela ? la direction le pourrait elle ? le ferait-elle ? L’avenir était rempli de points d’interrogation.
Quelques étrangères réussirent alors à obtenir des passeports pour émigrer outre-atlantique, au Mexique. Quant à nous, que pouvions nous faire sinon attendre. Les évasions n’étaient guère faciles avec les barbelés qui nous entouraient, avec les gardiens et gardiennes qui, de jour et de nuit, nous surveillaient. Et puis Mende, perdue dans cette âpre Lozère, se trouvait dans un cul de sac, sans issue ou presque. Et notre camp, éloigné de Mende de quelques kilomètres, était encore plus isolé.
Dans ces conditions, combien parait dérisoire le sac à dos préparé avant l’entrée des troupes d’Hitler, pour fuir.

Et chacune vivait avec cette obsession permanente. Et aussi avec ses propres soucis personnels, ses peines et ses chagrins intimes.
Je ne peux à ce sujet qu’évoquer le sort particulièrement tragique de nos amies polonaises.
Nous vivions avec elles depuis le début de notre existence au camp. Beaucoup d’entre elles se trouvaient dans notre baraque. Mois après mois, nous avions appris ce qu’il en était du sort angoissant de leurs familles demeurées au pays natal.
Aux premiers temps de la guerre, elles pouvaient par des voies détournées recevoir des nouvelles de leurs proches. Mais au fur et à mesure que la furie guerrière déferlait sur le pays que l’oppression empirait, les nouvelles, en provenance du pays natal, se firent plus rares et plus sombres. Plus de lettres directes, mais, de ci de là, des nouvelles. De nombreuses familles polonaises emmenées on ne savait où. Des femmes nouvellement arrivées au camp faisaient état de déclarations d’Hitler de décimer le peuple polonais, en tant que  » race inférieure  » de l’anéantir.

Etait-ce déjà le sort des familles de nos jeunes amies polonaises ? Pour la plupart juives, qu’allaient elles devenir à leur tour ?
La plupart de ces jeunes filles avaient vécu à Paris depuis des années et n’avaient pas vu leur patrie et leurs familles depuis très longtemps. Presque des enfants encore, elles étaient parties de leur pays natal pour échapper aux programmes qui sévissaient en Pologne, pour aller rejoindre leur frère plus âgé, un oncle, un parent qui avait gagné la France pour survivre.
Quelques unes avaient travaillé dans la Haute Couture, dans la mode parisienne. Mais cela n’était qu’un moyen de subsistance provisoire, leur but était autre. A l’exemple de Marie Curie qui avait toujours aimé ardemment sa patrie polonaise, la plupart de ces jeunes filles polonaises, qui en avaient fait leur symbole, rêvaient de pouvoir, comme elle, étudier à la Sorbonne pour bâtir leur avenir. Même au prix de gros sacrifices tout comme Marie Curie l’avait fait.
C’est pourquoi utilisant leur doigts de fées, rapides et adroites, elles avaient commencé par travaillé dans la Haute Couture. Cette dextérité devait leur déblayer le chemin pécuniaire de l’Université. Hélas, au lieu de cet avenir, la guerre était arrivée avec Hitler. Loin de Paris et de la Sorbonne, loin de leur patrie et de leurs familles, elles étaient prisonnières et sans nouvelles des leurs dont elles ignoraient s’ils vivaient encore.
La petite Riva toute potelée et aux yeux bruns, de même que ses compagnes connaissaient alors le tragique sort des victimes de l’hitlérisme pourchassées à travers l’Europe.

Quelques mois après l’occupation de la France, une  » commission allemande  » composée d’hommes de la Gestapo et d’officiers SS était venue au camp pour inciter les allemandes  » aryennes  » à rentrer en Allemagne.
L’on comprend aisément que les anti-fascistes que nous étions aient refusé de comparaître devant la commission. Nous ne savions que trop bien ce qui nous attendait au  » pays natal « . La première fois, cela s’était passé relativement bien et la commission s’était retirée sans insister. Mais bientôt d’autres commissions réapparurent.
La direction du camp fit rassembler toutes les femmes. Après l’allocution tranchante d’un SS,  » tout le monde écoute « , et la sommation finale  » Les aryennes à gauche, les juives à droite « , nous les allemandes sommes les premières visées ; alors nos jeunes amies polonaises non encore inquiètes se placent au premier rang, nous protègent de leur corps pour nous dissimuler aux inquisitions des hitlériens. Il semble que la petite Riva se trouve grandie par sa mission protectrice, levant plus haut la tête, se dressant sur la pointe des pieds.
Brave petite !

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